Du coin de l'œil, toujours penché, j'observe ma montre mécanique dont la trotteuse égraine inlassablement les secondes perdues en compagnie de ces corps au teint cadavérique. La stagiaire me répond d'un ton monocorde, frigide, à l'instar de sa personnalité. La mort lui va si bien... “ Pas de doute, vous êtes faites pour ce boulot... ” soufflais-je à voix basse, plus agacé que reconnaissant. Elle et ses airs de fausse noblesse, perchée sur ses talons de duchesse. Alors je me détourne pour lui faire face, en toise le regard froid, restant encore scotché aux mots "élaboration langagière" “ Mademoiselle, de nos jours savoir se battre est obtsenta... ostent... ” Je me reprends un court instant, décontenancé et visionnant le mot pensivement avant de retenter ma chance“ Ostentatoire. ”. Durant quelques secondes je reste à la questionner du regard. Ai-je bon? Elle ne dit mot ce que je prends pour un oui. Alors .... heureuse? Tu l'as ton mot savant. Je reprends alors de l'assurance, empoignant le dossier qu'elle me tend sans pour autant le lâcher. Mes traits se tendent lorsque je finis par comprendre qu'elle n'a en rien dans ses dires déconné, qu'elle tient vraiment à ce que je range un par un les quelques dossiers renversés. Impatient, mes yeux se reportent pour la énième fois sur le cadran fixé à mon poignet, et malheureusement, j'en déduis que même avec rapidité, il me sera impossible de remonter au bureau et d’être à l'heure pour mon rencard établi sur un certain site. Oui... Car approchant de la trentaine, il est temps que quelqu'un m'aime pour ce que je suis, moi et toutes mes imperfections...
Inscris que depuis quelques jours, j'ai déjà pris contact avec une brune au caractère bien trempé. Mais grâce à la connerie de cet empaffé d'apprenti légiste, il me sera difficile de m'y rendre en temps voulu. Mes doigts se délient alors dudit feuillet qu'elle ne souhaite visiblement pas me céder et cherche rapidement mon téléphone dans ma poche arrière. Inutile, réseau inexistant, les nombreux caissons métalliques empêchent la progression des ondes en ces lieux. “ J'ai pas le temps pour ces conneries Zo... Mademoiselle Rosenbach ” Et Jeff qui doit déjà m'attendre, lui qui souhaitait m'étudier et me conseiller puisque dans le domaine de la séduction progressive, il est évident que je manque de subtilité.
Mais le regard de la jeune femme reste à froid à mon égard et j'en conclue bien vite que de nous deux, j'ai le plus à perdre dans l'histoire. Je ramasse donc ces foutus documents au hasard, les empile avant de les déposer brutalement et reprends possession du dossier qu'elle me tend toujours de la main, insistant sur les syllabes que je vais prononcer très lentement “ Merci " avant de repartir aussi vite que j'étais venu. Ce n'est que quelques minutes plus tard étant remonté d'un étage qu'une sensation de vide me consume. Mon téléphone... Dans ma précipitation, je l'ai oublié sur le plan de travail où gisait sous un drap un cadavre. Demi-tour. Je redescends les marches quatre à quatre, sautant les dernières quitte à me reprendre de justesse pour débouler nerveusement dans le corridor. Le double battant est là juste devant moi quand soudainement c'est le choc, l'une des deux portes reste bloquée malgré mes efforts. “ Nom de Dieu! " C'est le nez ensanglanté dissimulé sous ma main que je me représente timidement devant elle...